Tichri - Pardonner et se pardonner par Mariacha Drai
Fêtes

Tichri - Pardonner et se pardonner

Nous voici à l’aube d’une nouvelle année, où à nouveau l’enjeu sera de se tenir devant le Roi des rois, avec un projet clair qui nous permettra, on l’espère, de faire mieux durant l’année 5782.

L’occasion extraordinaire nous est alors donnée lors de Rosh hashana de renaître avec de nouvelles ressources , des forces renouvelées à la hauteur de nos projets de réalisation.

 

 

Toutefois, ne nous méprenons pas, s’il est fondamental d’aborder la nouvelle année avec des projets ambitieux de réalisation, cela ne pourra se faire que si nous sommes réalistes sur nous même et sur ce qui charge notre histoire.

L’année écoulée a eu son lot de réussites mais aussi d’échecs, d’épreuves, de manquements et de toutes sortes d’évènements qui ont pu laisser derrière eux un gout amer .

Qu’en est-il de ce poids ? Qu’allons nous faire de cette charge ? Pouvons-nous sereinement envisager l’année à venir alors que nous trainons avec nous ce lot de déceptions et de souffrances ?

 

 

C’est pourquoi, dès le premier jour de la nouvelle année, nous entamons 10 jours d’introspection.

L’objectif est de repérer et d’identifier les différents nœuds qui entravent notre existence et nous empêchent d’advenir.

L’un d’eux est si puissant qu’il nous enferme dans la blessure du passé et nous empêche d’envisager d’écrire de nouvelles pages de notre histoire.

Je veux parler ici de l’extrême difficulté à pardonner une offense subie.

 

 

Il existe toutes sortes d’offenses, certaines relèvent davantage de la vexation et peuvent se solutionner par de simples excuses ou un travail personnel.

Mais il existe aussi de réelles offenses, conséquences d’actions graves et dont les implications sont tout aussi graves…

 

 

Offenser c’est faire souffrir une personne, la blesser et prendre le risque de briser la relation humaine qui les liait.

Cette offense peut même aller jusqu’à la mort symbolique de l’autre.

L’offenseur, dans ses aspects les plus sombres, porte en lui de façon fantasmée, un droit de vie et de mort sur celui qu’il cherche à abattre.

Naturellement, l’offense appelle une réponse et transforme la relation passée en relation pleine de haine et de ressentiments.

 

 

Cette relation haineuse qui lie désormais l’offenseur et l’offensé, maintient la blessure à vif et les emprisonne tous deux dans l’enfer du passé irréversible.

 

 

Car en effet, nos actions ont ceci de bien particulier c’est qu’elles sont irréversibles, elles ne peuvent plus ne pas avoir été. L’action malveillante a été faite, le mal a été dit …

Quel avenir reste-t-il pour une relation abimée de la sorte ? Est-il possible d’envisager un scénario qui permette de dépasser le ressentiment et la haine suite à cette offense ?

 

 

L’introspection nécessaire lors des fêtes de Tichri s’accompagne de la notion du pardon.

Cette notion est centrale et fondamentale tout au long des prières afin de nous permettre de nous engager dans l’avenir en nous libérant d’un passé qui nous enferme.

Durant cette période, nos efforts se concentrent sur la double exigence de pardonner et d’être pardonné.

 

 

Pardonner aux hommes et être pardonné de D’.

 

 

Pardonner consiste à rompre l’engrenage quasi naturel et presque inéluctable de haine et du désir de vengeance.

En pardonnant, nous avons la possibilité de libérer le passé de sa charge écrasante en choisissant de nouvelles opportunités d’avenir qui ne seront pas la simple conséquence du passé.

 

 

Nous permettons ainsi à l’autre de renaître d’une certaine façon avec un nouveau visage et de nouvelles possibilités en étant digne de respect dans ses relations interpersonnelles.

Hanna Arendt disait si justement que pardonner est « la rédemption possible de la situation d’irréversibilité ».

Sans pardon, nous serions « enfermés dans un acte unique dont nous ne pourrions nous relever »

 

 

Le pardon se dit en Hebreu  ‘méhila’. Ce mot est issu du mot  ‘mahol’  qui veut dire  cercle.

 

 

Nous faisons tous partie de multiples cercles : celui des humains, celui des juifs, celui de notre communauté, celui de nos proches, de notre famille ….

Ce sont autant de cercles concentriques qui fondent ce que nous sommes aujourd’hui.

Le cercle le plus intime étant celui qui constitue l’union de l’être avec sa propre néshama. Autrement dit, celui de l’homme et de sa relation à H’.

Ces cercles concentriques sont susceptibles de se briser, de se fracturer pour un temps. La mehila est ce qui permet de réparer la fracture, de fabriquer à nouveau un cercle.

 

 

Lors d’une offense, le cercle est brisé. Le lien est fracturé, l’autre devient extérieur à mon cercle et sans méhila, il ne pourra pas l’intégrer à nouveau.

 

 

La première mehila est certainement celle que l’on doit s’accorder à soi-même.

Nous avons certainement échoué cette année, en ne laissant pas suffisamment notre néshama s’exprimer et se déployer librement.

Nous culpabilisons peut-être aussi de n’avoir pas été une assez bonne mère, un assez bon père.

Avons-nous suffisamment permis à notre conjoint de s’épanouir à nos côtés ? toutes ces interrogations exigent une méhila que l’on doit être en mesure de s’accorder afin de faire encore mieux.

 

 

Ensuite   il s’agit de réussir à accorder sa méhila à l’autre afin de ne plus être prisonnier du passé et lui permettre d’exister à nouveau comme faisant partie intégrante de ce que je suis.

 

 

Pardonner n’est pas simple. Certaines blessures restent vives pendant longtemps et la capacité à pardonner ne peut absolument pas répondre à des paramètres clairs et prévisibles.

Cette capacité relève certainement des aptitudes psychologiques qui sont variables d’une personne à l’autre.

 

 

C’est certainement la raison pour laquelle il n’existe pas dans la Torah de mitsva explicite qui enjoint à pardonner toute personne.

Il existe certes, un interdit de haïr l’autre dans son cœur (secrètement) et de se venger.

La suite de ce même verset (lévitique 19) nous ordonne également d’aimer son prochain (véahavta léreekha).

 

 

Le pardon, quant à lui, demeure un mystère.

Nous retrouvons cet aspect mystérieux à travers l’exemple de pardon le plus célèbre de la Bible : celui de Yossef envers ses frères.

 

 

Yossef réussit en effet à pardonner à ses frères car il a compris le véritable enjeu de sa descente en Egypte.

Il a su appréhender sa tragique histoire avec le recul nécessaire pour y déceler un évènement qui dépasse sa personne et qui fut l’instrument de la hashgaha.

 

 

Yossef, l’homme du pardon, porte dans son nom, יוסףles mêmes lettres qui forment aussi le mot – פיוס : la paix.

C’est cette paix intérieure et extérieure que nous cherchons à atteindre à travers le pardon.

Ce dernier est un mouvement intérieur qui n’est pas simple ; c’est la raison pour laquelle le pardon se déploie dans le temps.

 

 

En effet, le rabbi de Loubavitch z ‘’l dans le likoutei sihot présente 3 niveaux successifs de pardon.

1) La personne se sent encore blessée et en colère mais n’espère pas la chute de l’offenseur et n’exprime pas un désir de vengeance. 

2) La personne a réussi a dépassé son sentiment de colère, va de l’avant sans rester enfermée dans son offense.

3) La personne a rétabli la relation avec celui qui lui a porté atteinte.

 

 

Le Talmud nous enjoint de réussir à atteindre le premier niveau. Même si l’idéal du troisième niveau ne peut être atteint pour l’instant, il faudrait à minima être à même de saluer la personne qui nous a blessé.

Le pardon ne relève pas d’une tendance naturelle. Il est au contraire la preuve de l’inhibition de ce qu’a créée en nous l’offense : le ressentiment et la haine.

 

 

Ainsi, tentons en cette veille de rosh hashana, chacun à son niveau et avec ses ressources, de fermer un ou plusieurs cercles de notre vie et d’envisager l’année à venir avec davantage de paix et d’harmonie.

C’est certainement le plus beau cadeau que l’on puisse se faire à soi et que l’on puisse faire à l’autre …

 

 

Shana tova oumétouka !!

 

 

 

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Mariacha Drai

Enseignante de Torah, conférencière, thérapeute de famille et de couple, hypnothérapeute, rabbanite, mère de 6 enfants, Mariacha a débuté sa carrière en tant qu’ingénieure en Israël.

Lors de son retour en France, elle se reconvertit et se dédie à ses passions : l’enseignement de la Torah et le questionnement identitaire.

C'est au séminaire d'Ofakim dirigé par le Rav Cohn que Mariacha a été formée à l'étude des textes bibliques et des commentaires . Plus tard, elle poursuit son apprentissage et se tourne vers les enseignements de Rav Moshé Shapira z"l et du Rav Pinhas Friedman et de facon plus générale vers la Hassidout. 

Elle commence par enseigner à des lycéennes qu’elle suit jusqu’à leur mariage et organise le premier séminaire Bohi Kala dès 2015. Sa carrière de conférencière est lancée, son auditoire s’élargit géographiquement et démographiquement ! Elle intègre alors l'équipe Lev du Rav Elie Lemmel. Des femmes de tout âge et de tout niveau spirituel suivent ses cours. 

Aujourd'hui Mariacha Drai est thérapeute de famille et de couple et enseigne la Torah à travers conférences et séminaires.


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