31 octobre 2023.

J'ai le teint blafard et les traits tirés ce matin là en me rendant à l'adresse indiquée pour le tournage. Cela fait des jours que je ne dors plus .

Mes pas sont lourds, j'ai le sentiment de devoir me porter.

3 semaines .

Déjà 3 semaines que les images tournent en boucle . Les images d'un pogrom que l'on croyait appartenir au passé.

Hurlements ,coups de feu, silence.

Ce silence m'accompagne désormais.

Nous sommes meurtris, nos âmes sont dévastées.

Je n'ai aucune envie de me rendre à ce tournage d'émission inter-religieuse.

Je n'ai le coeur à rien mais je m'y étais engagée bien avant l'horreur du 7 octobre.

Trop sérieuse pour annuler mes engagements ...

J'y vais donc, malgre tout.

2h30 de tournage, une table ronde , 2 animateurs, un imam, un chrétien, un bouddhiste et moi même ...

Moi, la juive.

Moi, l'abimée.

La parole circule, chacun évoque sa croyance , sa tradition mais surtout son amour de l'autre et la centralité du partage dans sa religion.

Durant 2h30, ces religions portées par leur représentant respectif ne sont qu'amour et bienveillance, altruisme et générosité.

La sensibilité à l'autre- quel qu'il soit- y est centrale...oui, centrale...

Le moine bouddhiste évoquera le soin qu'il prend à sauver un ver de terre qui risque de se noyer ...l'imam parlera du repas partagé, le chrétien rappelle la charité...

2h30 de tournage . 5 h sur place.

J'ai espéré jusqu'à la dernière minute .

J'y ai cru , car cela me semblait évident.

Un mot de compassion va venir, leurs yeux seront tristes et leur regard desolé.

Hors tournage, ils diront que c'est terrible, que le terrorisme détruit notre planète et que eux, croyants, prient pour le retour des otages sains et saufs.

Mais si, c'est sur !

Les heures passent ...et

RIEN .

Pas un mot.

Pas un geste.

Pas une allusion.

Le vide abyssale.

Je réalise alors que moi, la juive abîmée par 2000 ans de persécutions, me voici participant à une mascarade.

La mascarade inter-religieuse .

La mascarade d'un monde qui protège son ver de terre et qui partage sa table mais qui n'entend pas les bébés captifs pleurer.

Un monde sensible à la surproduction, à la surconsommation et insensible aux massacres.

Un monde qui entend protéger la terre agricole mais qui la laisse absorber le sang de milliers d'innocents.

Une table ronde de croyants aveugles et de prieurs silencieux.

Humanité, où es tu ?