Adar - Intériorité et extériorité par Mariacha Drai
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Adar - Intériorité et extériorité

Intériorité et extériorité sont les deux termes qui expriment l’irréductible dualité de l’humain.

Cette dualité a été posée dès les premières lignes de la genèse. En effet, le sixième jour de la création du monde, alors que l’univers et tout ce qu’il contient est prêt à accueillir l’humanité, le texte de la Thora introduit l’homme dans le cosmos à travers une description explicite de sa dualité :

וַיִּיצֶר ה אֱלֹהִים אֶת-הָאָדָם, עָפָר מִן-הָאֲדָמָה, וַיִּפַּח בְּאַפָּיו, נִשְׁמַת חַיִּים; וַיְהִי הָאָדָם, לְנֶפֶשׁ חַיָּה

L'Éternel-Dieu façonna l'homme, - poussière détachée du sol, - fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint un être vivant.

Poussière et souffle.

L’humanité sera constituée de ces deux éléments que tout sépare à priori et qui sont pourtant liés en tout un chacun.

Corps et âme cohabitent ici et tentent de créer ensemble une entité cohérente.

D’ a voulu que l’humain soit constitué à partir de ces deux éléments qui sont à l’origine de l’émergence de la vie : le Ciel et la terre .

 

A priori, tout les sépare et les distingue :

Le corps est visible, limité, mortel ; il est extériorité.

L’âme est invisible, infinie, immortelle ; elle est intériorité.

Ainsi, au sein de l’homme se lient le visible et l’invisible.

Ils ne peuvent être détachés l’un de l’autre, il n’y a pas de psyché sans corps.

La psyché ne peut être connue que par le corps et comme animation du corps.

L’intériorité n’est que par sa relation avec l’extériorité et ne peut être connue que dans et par l’extériorité.

 

L’âme est ce qui constitue notre être le plus profond, le plus intime ; elle nous définit et se dévoile par ses trois habits successifs que sont la pensée, la parole et l’action.

Dépourvue de ces habits, nous ne pourrions avoir aucune perception de notre intériorité. Désincarnée, elle nous est tout à fait inaccessible ; habillée par le corps, elle est ce qui donne vie et sens à notre monde.

 

Notons qu’étant issue d’une « partie de D’ » , l’intériorité s’impose à nous comme excédant l’extériorité mais elle ne demeure accessible que par le corps c’est-à-dire ses mouvements, sa parole, sa sensorialité.

La cohabitation imposée au corps et à l’âme n’est pas chose aisée et elle nécessite des efforts constants pour arriver à se construire.

Rav Wolbé z’’l dans son ouvrage Alei Shour, qui constitue une référence en matière de travail sur les midot ( traits de caractère) insiste sur l’importance du double mouvement qui relie l’intériorité à l’extériorité.

En effet l’intériorité se projette sur l’extériorité et l’anime mais tout geste et toute action extérieure influence également le monde intérieur.

 

Le travail sur l’intériorité constitue le point de départ lorsque l’on veut se construire, avancer, se dépasser et sortir des schémas de vie figés et des préjugés.

Il s’agit de se construire un véritable monde intérieur qui représente l’essentiel de notre richesse.

Cela se passe au plus profond de notre être, dans notre pensée, dans notre psyché.

Il s’agit d’une découverte exaltante car nous nous connectons dès lors à nos infinies richesses intérieures.

Au grès de ce voyage intérieur, on se sensibilise, on s’enrichie, on devient consistant.

 

Pour ce faire, il faut tout d’abord renoncer à tout ce qui relève du monde de la ‘vitrine’, à ce monde qui semble si beau, si attrayant et si immédiat que l’on peut aisément caricaturer par le monde d’ « insta » pour les jeunes et par le monde des soirées, des mondanités et des cocktails pour les moins jeunes .

Il faut également savoir renoncer à l’univers des honneurs et des projecteurs qui apportent, il est vrai, une sensation d’ivresse immédiate. Il en est de même pour le désir insatiable des acquisitions matérielles multiples.

Tous ces éléments qui appartiennent à l’extériorité représentent un écueil quand ils définissent un objectif de vie et occupent de ce fait une partie majeure de l’existence.

 

La consistance de l’être ne provient QUE du travail sur l’intériorité. Cette consistance est jouissive, exaltante et permet de traverser le monde de l’extériorité sans s’y installer. ( Je reprends ici une terminologie chère au rav Moshé Shapira z’’l quand il définit la ‘hitsoniout’)

Est-ce à dire que seule l’intériorité compte et que l’extérieure n’a aucune valeur ? Certainement pas !

L’intériorité a également besoin de l’extériorité pour se raffiner.

Rav wolbe précise que le travail concret sur nos attitudes au quotidien influence fortement l’être intérieur. Dans ce sens, Maimonide conseille plutôt de donner mille fois 1 euro plutôt que mille euros en un coup car les mille actions vont actionner mille fois le monde intérieur émotionnel.

 

Il est certes utile de réfléchir profondément au sens et à la nécessité de l’altruisme mais, in fine, le monde est rédimé par des actions concrètes.

Nous comprenons donc que ces deux univers – intériorité et extériorité- sont tous deux importants, nécessaires et se complètent.Il est fondamental d’enrichir notre intériorité tout en veillant à ce que l’extériorité en soi un digne reflet.

 

Le Baal shem tov apporte une splendide interprétation métaphorique d’un verset de Mishpatim qui à travers un âne qui ploie sous sa charge, met en scène le difficile dialogue entre le corps et l’âme :

Si tu vois l’âne de ton ennemi ployer sous sa charge, et que tu es tenté de lui refuser ton aide, tu l’aideras certainement avec lui. (Exode 23, 5)

« Si tu vois l’âne... » : quand tu considères ton corps [le mot hébraïque pour « âne », ‘hamor, signifie aussi « matérialité » (‘homer)] et que tu le perçois comme...

« ...ton ennemi » : puisque ton âme recherche la spiritualité et que ton corps entrave sa progression et semble s’y opposer

« ...ployer sous sa charge » : la charge que constitue la Torah et les Mitsvot qui sont en réalité également le fardeau propre du corps, que D.ieu lui a donné pour le raffiner et l’élever ; mais le corps ne reconnaît pas cela et refuse la charge. Quand tu vois tout cela, il se peut...

« ...que tu sois tenté de lui refuser ton aide » : tu peux envisager de choisir l’ascétisme pour briser la matérialité grossière du corps.

Ce n’est toutefois pas dans cette approche que tu pourras progresser. Au contraire,

« ...tu l’aideras certainement avec lui » : prends soin de ton corps, inspire-le, raffine-le et élève-le de sorte que l’âme et le corps se complèteront et se réaliseront l’un l’autre, et s’aideront l’un l’autre à se bonifier.

 

Le baal shem tov nous invite à travers cette interprétation à envisager un lien profond et harmonieux entre ces deux entités dont le dialogue nous semblait pourtant compromis.

Pour finir, notons que la langue hébraique rend également parfaitement compte de cette dualité visible / invisible.

Les lettre alef - א- et la lettre ayn - ע - sont toutes deux des lettres muettes.

Le mot עין- ayn désigne à la fois la lettre ע dans l’alphabet et le mot ‘œil’ en hébreu. C’est donc une lettre de l’alphabet qui renvoie à la partie qui relève du visible.

 

Nous constatons que si nous interchangeons la lettre ayn par la lettre alef dans un mot, nous obtenons un mot dont la signification est proche du mot d’origine mais dont l’essence est intérieure, invisible.

Le mot עין (œil) donne ainsi le mot אין qui signifie ‘Rien de visible’

Le mot עושר – richesse matérielle- donne le mot אושר – bonheur-

Le mot עור – la peau- donne le mot אור – lumière –

 

Les mots en hébreu nous indiquent ici le dialogue à établir entre l’être et le paraitre : attention à ce que le עור la peau, ne cache pas le אור- la lumière intérieure !

Attention à ne pas voir dans une personne le עני -l’indigent- mais surtout le אני – le JE de cette personne !

Quel programme passionnant que de découvrir encore et encore tant par le corps que par l’âme les infinies possibilités et ressource de notre être !

 

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1 Commentaire(s)
    • Carole
    • 14 Fév. 2022

    C est beauuuuu ❤️

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Retrouvez la biographie de Mariacha Drai sur essentiELLE
Mariacha Drai

Enseignante de Torah, conférencière, thérapeute de famille et de couple, hypnothérapeute, rabbanite, mère de 6 enfants, Mariacha a débuté sa carrière en tant qu’ingénieure en Israël.

Lors de son retour en France, elle se reconvertit et se dédie à ses passions : l’enseignement de la Torah et le questionnement identitaire.

C'est au séminaire d'Ofakim dirigé par le Rav Cohn que Mariacha a été formée à l'étude des textes bibliques et des commentaires . Plus tard, elle poursuit son apprentissage et se tourne vers les enseignements de Rav Moshé Shapira z"l et du Rav Pinhas Friedman et de facon plus générale vers la Hassidout. 

Elle commence par enseigner à des lycéennes qu’elle suit jusqu’à leur mariage et organise le premier séminaire Bohi Kala dès 2015. Sa carrière de conférencière est lancée, son auditoire s’élargit géographiquement et démographiquement ! Elle intègre alors l'équipe Lev du Rav Elie Lemmel. Des femmes de tout âge et de tout niveau spirituel suivent ses cours. 

Aujourd'hui Mariacha Drai est thérapeute de famille et de couple et enseigne la Torah à travers conférences et séminaires.


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