Kislev - Le miracle c'est quoi?
- Mariacha Drai
- 04 Nov. 2021
- Durée : 15 min
Le mois de Kislev est là, et avec lui, notre rencontre annuelle avec le miracle.
Depuis tout petits, nous connaissons la merveilleuse histoire du miracle de Hanouka, symbolisée par la fiole d’huile d’olive pure qui ne pouvait brûler qu'un jour et qui pourtant a duré 8 jours !
Le miracle fait, de plus, partie intrinsèque de notre vie juive.
La Torah raconte de multiples miracles lors des 10 plaies égyptiennes ainsi que le fameux miracle que nous évoquons tous les jours dans notre prière : l’ouverture de la mer rouge et la traversée des Hébreux.
Après le don de la Torah, les miracles continuent puisque les Bné Israël vivront ensuite 40 années miraculeuses dans le désert du Sinaï en consommant la manne, en buvant l’eau d’un puits miraculeux et en étant protégés par des nuées hors normes.
Les livres des prophètes racontent eux aussi la réalisation de miracles comme les murs de Jéricho qui s’effondrent, ou le prophète Elisha qui ramène à la vie le jeune garçon qui était mort.
Ainsi, les miracles font partie intégrante de notre tradition, toutefois le lecteur du 21ème siècle peut être tenté de lire ces évènements de façon quelque peu détachée.
Soit en considérant que les miracles font partie d’une époque révolue, soit (et c’est beaucoup plus grave) en les relisant avec des essais d’interprétations scientifiques.
Alors, tentons de comprendre ce qui constitue le miracle dans le judaïsme et pourquoi il occupe une place centrale. Pour cela, il nous faut analyser quelle est notre perception du monde.
Rappelons nous que le monde est créé de sorte qu’il n’est que le reflet de la Torah.
Chaque détail du monde ne peut exister que parce que la Torah l’a ainsi décrété.
Tout objet, toute existence est la forme matérialisée d’un mot de Hachem. De plus, cette matérialisation a lieu en continu, comme l’explique le Nefesh Hahaïm.
La parole d’Hachem est permanente et se contracte en matière pour faire exister le monde.
Il est certes difficile pour l’homme moderne de percevoir ainsi l’existence du monde car aujourd’hui, la réalité ne s’observe qu’à travers des équations et un laboratoire.
Tout y est mesurable, explicable, analysable.
En effet, le monde physique est tangible et a été créé de sorte qu’il cache le monde spirituel qui l’anime.
Il nous donne l’illusion d’être autosuffisant en fonctionnant inlassablement de la même façon et en suivant des règles extrêmement précises et régulières.
Le monde se dit “olam” en Hébreu ce qui signifie "caché". Il cache en effet sa source qui le fait fonctionner.
Le miracle est l’arrêt de cette marche prévue.
Il est l’expression d’une volonté divine de déroger à la règle tout comme la règle est l’expression d’une volonté divine de s’y contraindre. Pour autant, il n’est pas plus merveilleux que la conduite attendue.
Ainsi, il fallut que Moché étende son bâton vers les eaux pour que celles-ci s’ouvrent mais également pour qu’elles se referment.
À travers cet acte, la Torah nous enseigne que la nature n’est pas moins miraculeuse dans son fonctionnement ordinaire que dans son fonctionnement extraordinaire.
C’est le regard que nous portons sur le monde et sur notre existence qui
définira notre capacité à y déceler des miracles.
Le Rav Akiva Tatz dans son excellent livre “Le masque du monde”, dont je recommande vivement la lecture, explique qu’il existe différents niveaux de perception du monde.
Le premier niveau consiste à envisager l’existence du monde comme étant créée par D., mais séparée de Lui. Le monde fonctionne selon ses propres lois que l’on peut anticiper et dont on peut se servir pour augmenter nos chances de réussite dans la vie.
Dans cette vision, D. est bien sûr aux commandes mais la nature a une existence distincte de l’existence de D. L’homme se “noie” littéralement dans la nature.
Une perception plus avancée consiste à visualiser qu’absolument TOUT dans le monde est la manifestation directe de D. : chaque brindille, chaque cellule. Il n’y a absolument aucune forme d’indépendance dans le monde.
Toutefois, cette perception reste limitée car le monde semble exister de façon différente du Créateur tel un outil dans les mains de l’artisan, ce qui impliquerait une forme de limitation de l’artisan.
Enfin, le niveau de perception supérieur consiste à concevoir une unité absolue entre D. et Sa création.
Le monde n’est ni un outil ni une extension de D., c’est la manifestation de D. car « ein od milvado », il n’y a rien d’autre que Lui.
Ainsi, à ce niveau de perception, il devient évident que la nature est un masque qui dissimule D. afin que l’on puisse garder notre liberté de Le voir ou de L’ignorer. En effet, dans un monde qui semble fonctionner selon des règles précises de causalité, selon un ordre prévisible, libre à chacun d’y déceler - ou pas - la source divine de toute existence.
A ce niveau de perception du monde, le miracle est possible.
Ainsi, Rabbi Hanina ben Dossa rassure sa fille désespérée d’avoir acheté du vinaigre au lieu de l’huile pour ses bougies de chabbat : « que celui qui ordonne à l’huile de brûler ordonne au vinaigre de brûler » dit-il.
Pour celui qui ne voit pas la nature comme étant indépendante de D., rien ne s’oppose au fait que du vinaigre brûle si telle est la volonté du Créateur.
L’huile et le vinaigre peuvent au même titre servir de combustible si D. le décide. Ainsi, le miracle est l’expression d’une manifestation divine au même titre que la nature.
La nature constitue une manifestation de D. en continu et à laquelle nous sommes habitués ; le miracle constitue une manifestation égale de D. mais à laquelle nous ne sommes pas habitués.
Le Talmud présente une divergence d’opinion parmi les sages concernant un miracle dont a bénéficié un homme devenu veuf. Cet homme avait un bébé et a miraculeusement pu l’allaiter.
Une opinion consiste à s’émerveiller de la grandeur de cet homme pour qui un miracle a été réalisé.
L’autre opinion consiste au contraire à le blâmer d’avoir été à l’origine d’un changement dans l’ordre de la Création.
Si l’on considère que les miracles sont nécessaires pour montrer que la nature n’est qu’un masque, alors cet homme est remarquable.
Mais si l’on considère qu’il n’y a pas besoin d’un miracle pour briser l’illusion de la nature, alors le miracle est inutile et cet homme n’a aucun mérite particulier.
À l’époque de Hanouka, l’époque du deuxième temple de Jérusalem, il n’y avait plus aucun des 10 miracles permanents dans le temple.
Le grand miracle ostentatoire de Hanouka fut la victoire des Hashmonaïm peu nombreux et peu armés contre la puissance grecque.
Toutefois, le symbole de Hanouka demeure la fiole d’huile, un miracle qui a brisé les lois de la nature et qui aurait pu rester inconnu du grand nombre si on ne le fêtait pas chaque année par notre allumage de la Hanoukia.
Ces 2 évènements sont aussi miraculeux l’un que l’autre.
La flamme qui persiste symbolise, quant à elle, depuis plus de 2000 ans, le miracle, car cette flamme nous permet de voir au-delà du visible, de voir la Source qui anime la totalité de l’univers.