Tamouz - Devenir un être sensible par Mariacha Drai
Fêtes

Tamouz - Devenir un être sensible

Cela fait des années que je tente, avec difficulté, d’explorer le thème de la sensibilité. Je le cherche dans la Torah et dans ses commentaires, je le cherche dans mes rencontres, dans mes lectures, à travers mes différents patients... Je cherche à élucider cette énigme : peut-on devenir un être plus sensible ? A-t-on accès au monde du sensible chez nos enfants ? Chez nos proches ? Chez soi ? Si oui, comment ? Quel en est l’accès ?

Cette année, alors que je relisais pour la énième fois la merveilleuse histoire de Ruth en préparation à Chavouot, il m’est apparu comme une évidence que ce qui a octroyé à Ruth le mérite de s’inscrire dans la sainte lignée du roi David et donc du Messie, c’est son extrême sensibilité. Certes, elle adhère pleinement à la Torah et à son message, mais ce qui fait la différence entre elle et sa sœur Orpa, qui elle, décide de tourner les talons (ou plutôt la nuque devrais-je dire) c’est sa capacité à entendre au-delà des mots. Quand Naomi s’adresse à elles entend Orpa", filles mes, chemin Rebroussezֹ ׁ", "ש ְב ָנה ְבנֹ ַתי, ָל ָּמה ֵת ַל ְכ ָנה ִע ִּמי" disant en deux “rebroussez chemin”, alors que Ruth entend “mes filles”.

En effet, Ruth entretient avec sa belle mère une véritable relation mère-fille empreinte d’un investissement émotionnel qui nous interpelle. Ruth, si sensible, devient l’ancêtre du roi David qui saura si bien rendre compte de toute la palette émotionnelle qui habite l’humain à travers son livre de Psaumes.

La Torah, à travers ses nombreuses mitsvot, va aussi bien investir le monde des actions que le monde émotionnel. Nous faisons des mitsvot bien concrètes : mettre les téfilines, allumer les bougies... et d’autres mitsvot qui relèvent plus du domaine du sensible : aimer Hachem, aimer son prochain... En effet, la Torah nous demande textuellement d’aimer l’étranger en se justifiant par la suite “car vous étiez étrangers”. Elle s’adresse ainsi à notre être sensible autant qu’à notre être intellectuel. Il existe également de très nombreuses mitsvot qui concernent l’aide au pauvre, à la veuve, l’orphelin...

Afin de réussir à accomplir aussi bien les mitsvot qui convoquent notre aptitude émotionnelle que les mitsvot dites factuelles et “techniques”, il faudrait que nous trouvions cet accès à la voie émotionnelle qui nous permettrait de développer notre capacité à ressentir tout ce qui nous entoure et à ainsi devenir davantage sensible.

Rav Wolbe, dans son célèbre ouvrage Alei Shour, développe cette thématique. Il explique qu’il faut impérativement distinguer la sagesse de la Torah de toutes les autres sagesses existantes. En effet, les sagesses du monde visent à un développement qui permette de rendre le monde plus confortable.

L’objectif est de transformer le monde, et non de transformer l’homme. Le philosophe ne devient pas un être meilleur et le poète capable d’écrire avec un raffinement exceptionnel ne devient pas un être plus raffiné.

Le Talmud, dans le traité Yoma page 72, dit qu’un “talmid hakham dont l’extérieur n’est pas conforme à son intérieur perd son titre de talmid hakham”.

En effet, tout le but de l’étude de la Torah vise à pénétrer profondément l’être afin de le transformer. Lorsque nous étudions les bonnes midot, c’est dans l’objectif avoué de pouvoir les acquérir. Or, la première étape n’est constituée que d’une compréhension intellectuelle qui n’a aucunement la possibilité de transformer notre être.

Le fait de comprendre les mécanismes de l’altruisme ne fait pas de nous des personnes altruistes. Il va donc falloir mobiliser une autre de nos capacités afin que la connaissance acquise puisse pénétrer réellement la personne. Rav Wolbe, citant le grand maître de moussar Rav Israël Salanter, appelle cette nouvelle capacité la Hitpaalout. Rav Israël Salanter dit : « La hitpaalout est fondée sur la capacité à ouvrir un cœur bouché et à y déverser les eaux de la sagesse connue par l’homme mais qui n’est pas encore intégrée. Concernant tous les apprentissages, la connaissance est bien distincte de l’homme. Elle se trouve en lui et est convoquée quand c’est nécessaire. Concernant les traits de caractère et les forces qui nous animent, il ne suffit pas d’avoir une connaissance, cette connaissance doit s’installer dans son cœur. Cela se produit par l’effet de la hitpaalout ».

Il n’est pas aisé de traduire le mot hitpaalout, il s’agit d’une sorte d’extase, de vive émotion. Etymologiquement, "Lifol" signifie agir. Conjugué à la forme réflexive, cela signifie "se rendre acteur". La hitpaalout serait donc une émotion que l’on réussirait à traduire en acte et qui nous permettrait précisément de passer à l’acte.

C’est ce passage à l’acte qui nous permet de faire un avec la connaissance acquise. De cette façon, petit à petit, acte après acte, l’être se sensibilise et s’unit avec ce qui n’était qu’une connaissance. Rav Wolbe précise que même si la "hitpaalout" est passagère, elle laisse toujours une trace après son passage.

Dans la Torah, on distingue 3 occurrences où il est question du ressenti.

1.La sensibilité à un ressenti extérieur : le boucher a l’obligation de ressentir (marguish) si son couteau est parfaitement aiguisé afin de n’infliger aucune souffrance à l’animal. La Torah, à travers cette exigence, nous invite à développer au maximum le domaine du sensible à tout ce qui nous entoure, et ce, jusqu’au règne animal.

2.La sensibilité à un ressenti intérieur : la femme doit être attentive à ce qui se passe en elle jusqu’à pouvoir avoir la hargasha (sentiment) d’une ouverture de sa matrice qui est susceptible de la rendre nidda ("impure"). La Torah, à travers cette exigence, nous invite à développer au maximum le domaine du sensible intrinsèque à nous-même. Sommes-nous à l’écoute de ce qui se passe en nous ? Quelles sont les émotions qui nous habitent ? Sommes-nous proches de nous-même et de nos émotions ? Savons-nous mettre des mots appropriés sur ce que nous ressentons ?

3. La désensibilisation : Le talmud dans Erkhin page 30 évoque le cas d’une personne qui a enfreint une partie de la loi concernant la chemita (jachère). S’il n’a pas ressenti (lo hirguish) la gravité de son acte, poursuit le talmud, il finira par vendre son champ (ce qui est bien plus grave !). Dans ce cas, le talmud nous invite à réfléchir au processus de désensibilisation. De même que l’on peut se sensibiliser par le biais de la hitpaalout, on peut également se désensibiliser petit à petit en se fermant au monde de la hargasha, du ressenti. 

De ces 3 cas distincts dans l’univers du sensible, Rav Wolbe conclut que la Touma, communément traduite par "impureté", correspond à l’insensibilité et la kedousha, ou sainteté, correspond à la sensibilité émotionnelle.

Il insiste sur le fait que lorsque nous développons notre sensibilité, nous avons accès à notre inconscient qui se remodèle en fonction des nouveaux ressentis.

Ainsi, à travers cette étude du texte de Rav Wolbe, il me semble évident que non seulement nous pouvons nous sensibiliser, mais que nous devons le faire. Cela commence par une étude approfondie des différentes midot qu’il est nécessaire d’acquérir, puis cette étude doit susciter en nous un émerveillement susceptible de nous faire agir conformément à ce que nous avons appris. Jour après jour, les petits actes vont imprimer notre intériorité et ainsi nous sensibiliser à notre entourage ainsi qu’à nos propres émotions.

Si vous devenez de plus en plus sensible, il se peut que le monde occidental se permette de vous juger comme étant « un peu trop fragile », ou « un peu trop sensible », mais sachez que dans le domaine de la Torah, vous serez tout simplement sur la voie de la kedousha !

 

 

Vous avez aimé ? N'hésitez pas à partager !

0 Commentaire

    Aucun commentaire n'a encore été posté pour cet article.

Laisser un commentaire

Pour laisser un commentaire, n'hésitez pas à télécharger l'application essentiELLE.

Télécharger essentielle sur l'AppStore de Apple
Télécharger essentielle sur le PlayStore Google Android
Tags Expert
Retrouvez la biographie de Mariacha Drai sur essentiELLE
Mariacha Drai

Enseignante de Torah, conférencière, thérapeute de famille et de couple, hypnothérapeute, rabbanite, mère de 6 enfants, Mariacha a débuté sa carrière en tant qu’ingénieure en Israël.

Lors de son retour en France, elle se reconvertit et se dédie à ses passions : l’enseignement de la Torah et le questionnement identitaire.

C'est au séminaire d'Ofakim dirigé par le Rav Cohn que Mariacha a été formée à l'étude des textes bibliques et des commentaires . Plus tard, elle poursuit son apprentissage et se tourne vers les enseignements de Rav Moshé Shapira z"l et du Rav Pinhas Friedman et de facon plus générale vers la Hassidout. 

Elle commence par enseigner à des lycéennes qu’elle suit jusqu’à leur mariage et organise le premier séminaire Bohi Kala dès 2015. Sa carrière de conférencière est lancée, son auditoire s’élargit géographiquement et démographiquement ! Elle intègre alors l'équipe Lev du Rav Elie Lemmel. Des femmes de tout âge et de tout niveau spirituel suivent ses cours. 

Aujourd'hui Mariacha Drai est thérapeute de famille et de couple et enseigne la Torah à travers conférences et séminaires.


Facebook essentiELLE
Rubriques
Inscrivez-vous à notre Newsletter

Inscrivez-vous gratuitement pour être tenus informés des nouveaux articles d'essentielle.