Le « dressage » comme imposition d’une habitude ; nécessaire mais insuffisant

Le terme de « dressage » peut être choquant mais il est intentionnellement choisi pour que l’on puisse en sortir, pour se diriger vers ce qui en apparence peut y ressembler, mais dans le fond s’y oppose complétement : l’éducation.

Effectivement « le dressage » d’un tout petit ressemble trait pour trait à celui d’un animal, et ceci tant que l’enfant n’a pas du tout conscience de lui-même.

On peut lui imposer des heures de sommeil, ce qu’on lui donne à manger, d’ingérer un médicament, la chaleur à laquelle il boit son lait, etc… A ce stade, il ne se rend même pas compte du fait qu’il agit par influence extérieure.

Dès que l’enfant commence à avoir une conscience de lui-même, autour de 18 mois environ, il devient impératif de commencer à alterner entre « dressage » et éducation, sur les points où cela est possible, et/ou nécessaire.

Synthétisons :

Dans le « dressage » l'enfant est :

• L’objet de l’intention d’un autre, et non le sujet de ses propres agissements.

• Un effet, car il subit ou réagit ; et non une cause qui exige d’agir,

En effet, en bas âge l’enfant s’exécute par réaction, bien plus qu’il n’agit ; il fonctionne mais n’est pas totalement actif au sens de mobiliser sa propre volonté, dans ce qu’il fait.

• Dans le dressage, l’enfant est déterminé par une volonté qui lui est extérieure, qui n’est pas la sienne, qu’il n’a pas intériorisée et conscientisée comme un choix auquel il adhère subjectivement, au moins un peu.

Il agit donc en fonction de celui qui l'oblige ou l'incite à faire ce qu’il fait

Exemple de « dressage » - la propreté :

Elle peut se faire par dressage (cela était la mode à une époque), avant 18 mois justement parce que l’enfant n’a pas encore de volonté propre, au sens d’une volonté consciemment motivée par quelque chose.

Il ne va donc pas opposer de refus, mais juste une éventuelle incapacité. Cette incapacité sera compensée par la mise en place d'automatismes et un conditionnement adapté aux résultats escomptés. (On le met sur le pot toutes les heures, etc…)

• Dans le dressage ou l’éducation aux bonnes habitudes, l’enfant s’exécute pour l’autre bien davantage que pour lui-même. (Même un enfant devenu adulte fera toujours un peu aussi pour quelqu’un d’autre que pour lui-même, mais le savoir signifie déjà que l’on « choisit » de faire ce que l’on fait.)

Eduquer à l’autonomie : oxymore, paradoxe et défi

Comme expliqué précédemment, on peut faire le choix de mettre en place des habitudes, des mécanismes, qui nous évitent d’en passer par le fait de nous opposer à la volonté de l’enfant.

On perçoit bien les avantages de cette étape assez courte dans l’enfance « tout se joue avant 6 ans », qui peut être complexifiée et prolongée par l’envie de dresser un enfant suffisamment bien pour lui éviter de s’opposer à ses propres pulsions.

Eduquer signifie alors prendre en charge ce que son inertie va lui opposer, pour lui faciliter le comportement que nous attendons de lui, ou que la société attend de lui.

On appelle cela le Sur-Moi. Un bon dressage, et même prolongé, permet généralement de gagner en efficacité sur beaucoup de points. Mais donner beaucoup de force au Sur-Moi est à double tranchant.

Le bon côté c’est que les bonnes manières, « inculquées », la politesse par exemple, sont une évidence pour l’enfant : il dit bonjour avec un sourire, comme spontanément (mais en fait mécaniquement) sans effort. Et ainsi de suite pour beaucoup de choses, on appelle cela les enfants « policés ».

Mais si on ne joue que sur notre volonté à déterminer notre enfant d’une certaine façon, il ne prend pas le pli de se mesurer à lui-même, de s’écouter, de savoir qui il est et ce qu’il désire. On ne l’a pas éduqué à l’autonomie dans ce qu’il fait, et encore moins à « l’autonomie de son désir ». Il ne sait que répondre du désir des autres, et surtout, il ne sait plus agir indépendamment d’une demande extérieure.

On dit alors de cet enfant qu’il manque de confiance en lui… Traduction, il fait les choses sans volonté propre, pas tant parce qu’il ne veut pas les faire, mais parce qu’il ne sait pas où et comment puiser de la volonté à faire les choses.

Eduquer consiste à osciller entre faciliter des comportements qui demandent des efforts (comme le mode proactif de l’action/réaction, se bouger, déployer une énergie dans les choses que l’on fait), ET progressivement déployer une volonté propre, consciente d’elle-même : encourager l’enfant à se construire comme sujet de ses actes et de ses désirs.

Eduquer ou passer de la responsabilité des parents à la responsabilité propre

L'éducation a donc pour but de pousser l’enfant à devenir le sujet LIBRE de ses comportement, mais surtout RESPONSABLE DE SES ACTES.

Être la cause de ce qui se passe et non l'effet, et apprendre de ce fait à prévoir, à prendre en compte les effets, appelés plus communément les conséquences.

Ceci peut se faire assez rapidement sur des points essentiels, qui visent les comportements à adopter face « aux lois de la Nature », celles que l’on ne peut transgresser sans « en mourir ».

Par exemple, lorsqu’on apprend à un enfant à traverser la rue :

Au début, on ne lâche pas l’enfant, en lui expliquant le danger, en lui faisant même peur si nécessaire, car c’est une étape nécessaire à la conscientisation. Puis on commence à « le dresser », on lui fait intégrer certains mécanismes : « on ne traverse jamais la rue sans donner la main », etc. Et puis progressivement on l’implique dans son comportement : « on ne traverse jamais la rue sans regarder à droite et à gauche » etc. On surveille de loin son attitude jusqu’à ce que l’on perçoive qu’il a intégré ce qu’il faut faire ET qu’il fait ces gestes POUR LUI, parce qu’il est conscient du danger par exemple, qu’il en a peur, et surtout qu’il a envie de faire attention à ce qui lui arrive, de se préserver, bref qu’il a envie de vivre.

La fin* de l’éducation

*Fin dans les deux sens du mot : the end, quand on en a fini avec l’éducation de nos enfants, mais aussi fin comme but, finalité de l’éducation ; ce vers quoi on tend, ce pourquoi on éduque un enfant.

On a appris à un enfant à être heureux, quand les choses qu'il fait pour lui-même, il désire les faire ; il les fait parce que cela correspond à son propre désir, ce désir qui le définit en tant qu’être subjectif, singulier, responsable de ce qu’il est, parce que ce qu’il fait lui appartient. Comment on en arrive là, c’est complexe, mais disons pour le moment que c’est le but, et il faut déjà garder cela en tête, dans son cœur surtout.

Quand un enfant est adulte, "bar daat" , il a conscience, « il sait que », à propos de ce qui lui est extérieur, comme sur lui. Le dressage n'est plus d'actualité, évidemment, il faut alors lui apprendre à conscientiser à choisir ce qu’il fait.

Cet apprentissage a déjà commencé en filigrane depuis longtemps avec pour base dans l’enfance, le sur-moi qui pose certains garde-fous comme la peur et la honte, sinon c’est déjà trop tard, ou du moins très tard…

L’éducation se poursuit en devenant progressivement un dialogue « entre adultes responsables ».

On peut évidemment continuer à « proposer » des idées, ou attendre d’un enfant qui se rapproche de l'âge adulte des comportements que nous lui « suggérons », auxquels il peut adhérer ou pas.

Ceci se fait par étapes suivant le calendrier que l’on s’est fixé pour le mener vers l’autonomie. Cette sortie de la dépendance aux désirs des parents doit rester l’horizon de toute éducation.

Adulte, il en retournera de ses propres choix, de qu’il fera pour lui-même. Un enfant devenu adulte est capable de se mettre en mouvement et d’agir en fonction de la façon dont il rationnalise le bien vers lequel il tend, de ses besoins, MAIS AUSSI DE SES DESIRS : de la façon unique, singulière et intime dont son envie de vivre parle en lui.

Cette étape est essentielle, sur les points fondamentaux de son existence comme le choix de ses études, de son conjoint, etc.

Certaines personnes ne passent jamais réellement à l’âge adulte, on le constate au fait qu’elles stagnent, et ne se développent que très peu.

La société prend alors en charge le maintien d’un « dressage » qui finit par noyer l’individu dans un comportement de masse, au grès de modes le plus souvent passagères.

A contrario, un adulte qui est devenu libre et donc responsable, continuera de s’éduquer lui-même tout au long de sa vie, en fonction des idéaux qui le guident et qui donnent du sens à sa vie.